Et si nous partions sur les pas du comte Eustache II et de son épouse, Ide de Bouillon en plein XIe siècle pour nous découvrir un passé commun, dans une ville médiévale entre Flandre et Artois, à 136 km de Dilbeek, et qui répondrait au joli nom de :
« Forteresse des Sources », LENNA CAS
devenu en quelques siècles,
LENS
L’origine de la ville reste incertaine pour les historiens, mais la découverte de pièces de monnaie de l’époque mérovingienne portant son nom atteste de son existence. Cependant, il ne faut pas négliger quelques découvertes d’objets gallo-romains (médailles impériales, statuettes…) sur son territoire qui pourraient faire remonter sa naissance à l’antiquité romaine.
Si CAS provient du latin castrum = forteresse, le mystère demeure pour la toponymie de LENNA. D’après certains chercheurs, ce mot pourrait venir du gaulois ONNA = fleuve, source. Mais l’adjonction du L ne peut s’expliquer en l’état actuel de nos connaissances ; tout comme le O devenu E d’ailleurs. La ville s’est bien installée aux bords de la rivière Souchez, qui est le cours amont de la Deûle et l’iconographie médiévale nous prouve aussi l’édification d’un château fort avec ses douves et des remparts, dont nous n’avons plus aucun vestige mais qui est resté la figure emblématique du blason de Lens.
Et voilà comment l’histoire du château de Bouillon s’est trouvée liée à celle de Lens, quand Eustache II, comte de Lens et de Boulogne*, épousa, en 1057, Ide de Lotharingie, héritière des ducs de Basse-Lotharingie, née au château de Bouillon. Mais alors… est-ce bien leur fils, Godefroy de Bouillon, dont la statue équestre trône au milieu de notre place Royale, brandissant son étendard au moment où il part, à 38 ans, pour la première croisade et crie « Dieu le veult » ?
Oui ! Et tous nos souvenirs d’école affluent… 1095, l’appel du pape Urbain II à la croisade… et le seigneur Godefroy de Bouillon, élevé en cette châtellenie par son oncle dont il fut l’héritier a été le premier à y répondre ! Pour assurer tous les frais inhérents à cette expédition armée, Godefroy dut hypothéquer plusieurs de ses propriétés, dont le château de Bouillon !
Fin de l’histoire ? Mais non, car pour suivre son aventure jusqu’à la prise de Jérusalem le 15 juillet 1099, je vais devoir vous laisser en compagnie de vos livres d’histoire… Parce que Lens s’impatiente de nous accueillir ! Et notre parcours commence maintenant !
I. Honneur au transport ferroviaire, à son histoire et à son architecture : LA GARE ART DECO – place du Général de Gaulle. Nous sommes proches du centre-ville.
Quelle drôle de gare ! N’est-ce pas plutôt un musée ?
Presque ! Parce que la gare de Lens est une œuvre d’art en soi ! Elle fut classée au patrimoine mondial en 2012.
Et voici pourquoi :
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Depuis la découverte du charbon dans le bois de Lens en 1849, pendant son exploitation et jusqu’à l’arrêt total de son extraction en 1990, Lens était un des principaux centres urbains du riche bassin minier du Nord-Pas-de-Calais et l’ancienne gare du chemin de fer des houillères de 1860 mettait en contact les nombreux gisements de charbon avec le réseau ferré français.
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Voilà donc un édifice fonctionnel à l’allure d’un musée par le style Art déco adopté par son architecte qui s’en est servi dans la ligne constructrice générale rigoureusement classique et donc, sobre. Aucun superflu, aucun décor ostentatoire ! Sous la corniche, une simple frise de losanges dont le motif se retrouve sur les grilles, œuvre du ferronnier d’art Edgar Brandt. Et le blanc neige en façade choisi comme l’antithèse du charbon !
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Le décor intérieur qui s’inspire de la géométrisation cubiste est l’œuvre d’Auguste Labouret : posées en hauteur, tout autour de la salle, ses quatre frises de mosaïques rendent hommage à la mine et à ses travailleurs.
Mais cette drôle de gare ne ressemble-t-elle pas à… une locomotive à vapeur ?
Bien vu ! Et c’est en cela aussi que la gare de Lens est exceptionnelle !
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Sa tour haute de 23 m représente la cheminée.
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N’oublions pas d’être à l’heure, le train n’attend pas ! A cet effet, une horloge à quatre cadrans nous le rappelle !
Qui dit que les architectes n’ont pas d’humour ? Et que leurs gares sont tristes ?
II. Honneur aux architectes de l’après-guerre et à l’Art déco
Détruite complètement pendant la 1ère guerre mondiale, Lens a dû tout reconstruire. Les architectes ont profité d’un vent certain de liberté parce qu’aucune règle spécifique ne leur avait été imposée par la municipalité et ils adoptèrent, selon leur goût, des styles d’architecture différents. Ainsi nous découvrons pendant notre balade en direction de la place Jean Jaurès, des façades au style régionaliste, d’autres plus classiques ou Art déco, style en plein essor à cette époque.
Avez-vous déjà vu sautiller des moineaux ? Les architectes, sûrement ! Et leur regard amusé les a conduits à reproduire ces petits sauts, d’escalier en escalier, sur les toits de certaines belles demeures bourgeoises des années 1920, comme celle-ci au N° 43 de la rue de la Gare. Maison baptisée avec son toit « en pas de moineau » et son mélange de style classique et Art déco (fenêtres, frise géométrique et mosaïques).
La fierté de Lens, c’est la porcelaine de Limoges ! On est tous surpris !
Encore un tour des architectes, mais de la Ville de Limoges cette fois-ci ?
Pas du tout ! Sur la place Jean Jaurès au N° 16, ce bijou de l’architecture Art déco, « A LA VILLE DE LIMOGES » resplendit de sa gloire passée. Façade tout en mosaïques, cette fastueuse demeure abrite, depuis 2019, soit juste un siècle après sa reconstruction, l’Office du tourisme.
Et en franchissant le pas de porte d’époque et en mosaïques, c’est toute l’âme du bâtiment qui nous accroche ! Nous foulons les carreaux de ciment de l’espace de vente et notre regard enveloppe les chaudes boiseries des étagères et l’escalier en fer forgé qui ont été conservés. Ce dernier se souvient encore des va-et-vient du personnel pour répondre aux clients et leur apporter vaisselle, luminaires ou bibelots. D’ailleurs, nous observons encore fixées dans le plafond de longues chaînes métalliques auxquelles étaient suspendus les luminaires !
L’histoire de ce commerce de porcelaine de Limoges devenu une vraie institution à Lens est intimement liée à l’histoire familiale d’Emile Poincelet, propriétaire des lieux au début du XXe s. Le « règne » de la famille Poincelet prit fin en 2009 lors du décès du dernier propriétaire, Victor. Et le magasin changea d’orientation par l’implantation de l’office du tourisme dans cette belle demeure qui lui aura donné une seconde vie, comme l’écrivait Florence Dupont (responsable de la communication à Lens-Liévin) : « c’est un peu de la renommée de Limoges qui aura traversé les distances et les décennies pour, aujourd’hui, se réinventer ».
Mais, les talents des architectes explosent sur la place Jean Jaurès !
Oui ! Sans conteste ! Et notre enthousiasme est grand en découvrant tous ces styles si différents qui cohabitent sur la place et qui la rendent unique.
Face à l’office du tourisme, comme surgi du futur, l’Hôtel de Ville nous le prouve !
Inauguré en 1965, ses dimensions sont impressionnantes (1 603 m²). C’est comme s’il descendait des nuages avec sa façade tout en verre, ses 28 m de hauteur qui nous toisent et ses 108 fenêtres qui nous hypnotisent. Jean De Mailly, son architecte (premier grand prix de Rome en 1945), fut choisi par la Ville qui avait cru en ses idées avant-gardistes.
Un dernier regard à 360° sur la place, pour admirer au loin l’église Saint-Léger.
Inaugurée en 1926, l’église fut reconstruite à l’identique de celle du XVIIIe siècle, mais en béton armé, avec un clocher accolé en avant de la façade et le narthex percé d’un portail monumental (à voir : Vierge à l’enfant, statue en bois du XVIIe s. présentée dans la chapelle des morts de la Grande Guerre et classée monument historique au titre d’objet le 12 mai 1944).
Et maintenant, notre ultime destination ! La découverte de l’un des plus prestigieux musées au monde, rue Paul Bert au 99. Voici une perle de verre posée sur l’ancien carreau de fosse des puits N° 9 et 9 bis de la Société des Mines :
Le MUSEE du LOUVRE-LENS
« Du noir… à la lumière » ou une région minière qui a su se réinventer !
Mais où se cache le musée ? Moi, je ne le vois pas !
Normal ! C’est un coup de génie des architectes Kazuyo Sejima et Ryüe Nishizawa de l’agence japonaise SANAA.
Invitation à un « voyage initiatique » depuis le Japon
Construire un musée intégré subtilement dans le paysage, qui s’y fond, qui épouse en douceur le dénivelé du terrain, qui préfère étendre tout son corps se déployant sur 360 m de long, qui se laisse découvrir lentement, peu à peu, en s’en approchant par le parc est un réel voyage initiatique dans la plus pure tradition japonaise.
Nous allons le découvrir !
Les chemins d’accès et le parc
Les anciennes voies de chemin de fer reliant les puits de mine et maintenant bordées d’arbres, d’arbustes, de vivaces et de prairies fleuries nous invitent jusqu’aux portes du musée. Le parc paysager de 20 ha, récompensé par le label de Jardin Remarquable en 2012, est l’œuvre de l’architecte paysagiste Catherine Mosbach.
Un des chemins d’accès dans le parc
Quand soudain quelqu’un s’écrie : « il est là ! » Et tout le monde accélère !
Sur notre chemin, avant d’arriver au site du musée, nous avons vu se dresser au loin deux pyramides noires, les terrils aussi hauts que la pyramide de Khéops, et qui sont le rappel d’une région qui a vécu pendant plus de 150 ans grâce à l’extraction du charbon.
« Du noir … à la lumière ! »
« Rien n’est impossible, même l’invraisemblable », Pythagore (VIe s. av. J.-C.) Et, c’est bien ce qu’ont fait les deux architectes japonais.
Devant la façade du musée, l’émerveillement vient d’abord de l’architecture épurée du bâtiment. Puis, c’est le verre ! Partout où se pose notre regard. Le musée est lumière et paysage tout à la fois.
La structure linéaire du musée est composée d’acier et de verre feuilleté, tandis que les panneaux de bois sont recouverts d’un bardage en aluminium anodisé.
Il n’aura fallu que trois ans après la pose de la première pierre, en 2009, par Sejima elle-même, pour que surgisse du noir en pleine lumière ce « palais » digne du Louvre, nouvelle version : le Louvre-Lens !
N.B. L’architecte sino-américain Leoh Ming Pei avait déjà utilisé le verre feuilleté et le métal (aluminium et acier) pour la conception de la pyramide du Louvre à Paris (1988).
Le musée : sa conception et ses espaces d’exposition (surface totale des bâtiments : 28 000 m²)
Enfin nous y sommes ! Dans le cœur du musée ! Dans sa lumière !
Nous découvrons le vaste et lumineux hall d’accueil avec ses bulles en verre. Nous sommes dans le « cube », un des cinq volumes composant cette architecture si particulière. Au cube, s’accrochent quatre parallélépipèdes aux murs en verre qui reflètent le parc et inondent l’espace muséal d’une lumière zénithale naturelle. Ces quatre volumes sont reliés entre eux uniquement par les angles et la Galerie du Temps en est la surface la plus vaste avec ses 3 000 m² d’espace d’exposition.
Nous allons nous régaler !
Oui, c’est un formidable voyage à travers 5 000 ans d’histoire de l’art et de l’humanité depuis l’Orient avec la naissance de l’écriture et qui se termine avec la révolution de 1830 en France.
La Galerie du Temps
La perspective est exceptionnelle car depuis l’entrée de la galerie, où nous sommes positionnés légèrement en hauteur, notre regard embrasse en un coup quelque 200 œuvres !
Certains semblent un peu perdus ! Mais dans quel ordre allons-nous commencer ?
Suivez vos coups de cœur ! Parcourez la salle de long en large, de gauche à droite, peu importe… Puis revenez vers une œuvre qui vous aura émus et approchez-vous-en car elle est à portée de main ! Profitez de la liberté qu’offre le Louvre-Lens de circuler, sans cloisonnement, dans ce vaste espace muséal où le buste d’Alexandre le Grand par ex. avoisine des sarcophages de Thèbes…
En vous présentant ma sélection préférée ci-dessous, je termine pour vous ce voyage le 25 septembre dans la Galerie du Temps. A cette date, elle fermera ses portes et aura besoin de deux mois et demi pour se métamorphoser. Dès décembre 2024, je vous invite à être les premiers à découvrir le renouvellement des œuvres dans un nouveau concept en suivant le « fleuve du temps » les reliant entre elles. Et, en attendant, peut-être comme moi, vous rêverez à toutes les beautés du monde…
Honneur à la sculpture grecque, périodes archaïque et classique
Séduite par le port de tête si gracieux, les longues boucles tombantes sur les épaules parfaites des jeunes athlètes grecs (kouroï) ou les cheveux portés plus courts et retenus par une couronne végétale, je me suis surprise à répondre au sourire du kouros, à la beauté idéalisée…
Jeune homme nu (kouros), marbre. Statue provenant du sanctuaire d’Asclépios, dieu de la médecine. Paros (île dans les Cyclades), Grèce vers 540 av. J.-C.
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Jeune homme coiffé d’une couronne végétale, calcaire. Statue offerte dans un sanctuaire. Dali ?, Chypre, vers 480-460 av. J.-C.
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* Note de référence : dans notre bulletin 119, page 14, Robert Massart avait évoqué la victoire des chevaliers normands à la bataille de Hastings en 1066 qui permit à Guillaume de Normandie de devenir roi d’Angleterre. Un de ses compagnons fut le comte Eustache II dit « aux Grenons » c’est-à-dire « aux longues moustaches » reconnaissable à ce détail sur la tapisserie de Bayeux.
Sources :
Guide Hachette : Un Grand Week-end à Lens et environs, 2013
Office du Tourisme, 16 Place Jean Jaurès à 62 300 Lens. Tél : +33 3 21 67 66 66
info@tourisme-lenslievin.fr
Parcours architectures du Centre-Ville Lens (livret de l’Office du Tourisme)
Histoire de Lens : https://villedelens.fr (archives) https://fr.wikipedia.org/wiki/Lens_(Pas-de-Calais)
L’histoire du Louvre-Lens : https://www.louvrelens.fr (architecture et parc)
Architectes Sejima+Nishizawa, agence SANAA : https://www.archdaily.com/search/all?q=lens&ad_source=jv-header
Photos : reportage photographique de Chloé Bindels et dossier de presse du Louvre-Lens