Ricciacus - Site romain au Grand-Duché de Luxembourg

 

Un ouvrage assez fin à la couverture orange sur une de mes étagères attira mon regard. Le titre en latin décliné en de grandes lettres majuscules, militairement calligraphiées, ne laissaient aucune place à la rêverie !

Ce fut comme une gifle : BELLUM GALLICUM DE CESAR !

 

La « Guerre des Gaules » allait m’entraîner à parcourir à nouveau quelques chapitres des plus capitaux de notre histoire, jusqu’en l’an 50 avant notre ère quand les campagnes militaires menées par le général romain et homme politique, Jules César, eurent abouti à la conquête de la « Gaule chevelue », dernier territoire gaulois indépendant, de l’autre côté des Alpes.

Vous m’aviez déjà suivie en découvrant, dans les bulletins N° 100 et 101, le récit des combats menés par Jules César sur notre territoire, du côté de Tongres, contre Ambiorix, le roi des Eburons…

Alors, si vous êtes prêts, je vais vous emmener cette fois-ci au Grand-Duché de Luxembourg, une région qui fut intégrée dans l’État romain dès la fin de la conquête de la Gaule par Jules César et qui fit partie de l’Empire romain pendant cinq siècles. Avant la découverte de ce que fut, pendant deux siècles, la vie paisible dans le vicus romain où nous nous rendons maintenant, nous pouvons mesurer ensemble les ravages subis par les nations gauloises pendant ces guerres de conquêtes de 58 à 51 avant notre ère, en relisant un court extrait des « Vies parallèles » du philosophe grec Plutarque (46-125) sur le bilan de la Guerre des Gaules menée par J. César : « N’ayant pas même guerroyé en Gaule pendant dix ans complets, César prit de vive force huit cents villes et soumit trois cents nations ; et ayant eu à lutter en plusieurs fois contre un total de trois millions d’hommes, il en fit mourir un million dans l’action et en prit autant vivants. » (trad. Latzarus)

J’ai refermé, résolument, le Bellum Gallicum de mon adolescence, abandonné César dans sa guerre civile à Rome et nous nous sommes mis en route !

 

Direction DALHEIM ou la « maison dans la vallée »

Depuis Dilbeek, nous « avalerons », en moins de 3 heures, les 257 km qui nous en séparent. Sur place, nous allions découvrir ce que les Romains avaient réussi à fonder dans le cadre de la romanisation forcée (« écrasement d’une culture minoritaire par un Empire qui dispose de la force des armes », selon l’historien français contemporain, Laurent Olivier) et qui avait donné naissance à la civilisation gallo-romaine.
En traversant le village de Dalheim, au sud-est de la ville de Luxembourg, à l’entrée du vaste plateau du Pëtzel, apparaît soudain en grandes lettres, en latin, l’objet de notre voyage remontant le temps :

Abandonnons la route (N13), et enfonçons-nous en suivant le chemin rural (Neie Wee) sur les terres foulées par les fondateurs du vicus, vers 17 avant notre ère : Marcus Vipsanius Agrippa (63 av. J.-C. - 12 av. J.- C.), général et consul, envoyé sur place avec ses hommes par Auguste, 1er empereur romain (63 av. J.-C. - 14 ap. J.-C.).

Le vicus Ricciacus s’est ainsi substitué à la petite station-étape trévire sur la route romaine de Metz (Divodurum Mediomatricorum) à Trèves (Augusta Trevorum). Et à ne pas rater : quand nous serons au théâtre, dans le local d’exposition, nous pourrons authentifier la localisation du vicus. Selon un article d’étude publié par l’archéologue Nena Sand, le terme correct pour nommer l’agglomération serait soit « vicus Ricciacus », soit « Ricciacum ».

Mais comment allons-nous le trouver ?

En cherchant bien, dans une longue vitrine, nous lirons le nom « RICCIACO »qui apparaît sur la « table » cartographique magistrale du XIIIe siècle, dite de « Peutinger ». Cette copie reprend 11 cartes romaines, dessinées et complétées au fur et à mesure des conquêtes et où figurent les routes, les villes, les mers, les fleuves, les forêts, les chaînes de montagnes de l’Empire Romain.

Note de référence : Konrad Peutinger (1465-1547) – humaniste et amateur d’antiquités – reçut la copie en héritage en 1508. Cette table est conservée à la Bibliothèque nationale de Vienne et une copie est exposée dans le bâtiment du Conseil européen à Bruxelles reçue en cadeau de l’Autriche lors de sa présidence de l’UE en 2006.

 

 

Ce que nous voyons devant nous, sur les terres fertiles des cultivateurs rachetées par l’État luxembourgeois, sont les dernières mises à jour des fouilles entre les années 1977 et 1986.

Nous ne pourrons arpenter qu’une petite partie visible des 35 ha que couvrait à son apogée, de la fin du 1er siècle jusqu’au milieu du 3e, l’agglomération gallo-romaine avec son importante population de 1 500 à 2 000 habitants (en comparaison, actuellement, à Dalheim vivent 2 390 habitants). Oui, bien sûr, il nous faudra imaginer, à partir de ces vastes substructions, l’importance de la découverte de tout un quartier d’habitations privées presque complet au centre du vicus et en bordure de l’artère principale large de presque 12 m ! Ce sont les objets découverts, les pièces de monnaie, les outils variés, les ustensiles de toutes sortes qui témoignent de sa grande prospérité économique.

En posant le pied sur les vestiges de leurs maisons, en descendant les marches menant aux caves comme pour aller y chercher une amphore de vin de la Moselle, boisson préférée des Romains, subitement, le vent s’est mis à souffler et nous a ramené du passé tous les bruits des métiers des artisans qui avaient fait la richesse du vicus : les tanneurs, les tisserands, les potiers, les tailleurs de pierre et les maçons, les menuisiers et les charpentiers, les bronziers et les travailleurs du fer et de l’os… Nous les entendions tous, même les commerçants proposant leurs produits venus d’Italie et des provinces d’Orient !

 

Et à ce moment précis, si quelqu’un nous avait dit en latin : « Vive valeque ! », « Vis et porte-toi bien ! », nous n’aurions pas été surpris ! C’était ça, sans doute, l’effet du vent ?

A la sortie du vicus, à droite, nous longeons la grand route et c’est Rome qui se rappelle à nous ! Nous ne pouvons manquer l’impressionnant Monument à l’Aigle de Dalheim, érigé pour la première fois en 1855. L’aigle s’impose à nous du haut de ses 11 m et domine tout le plateau du Pëtzel. Nous avons l’impression que nous ne pouvons lui échapper ! Nous frissonnons en pensant à ce puissant symbole du pouvoir impérial et de la conquête du monde par les Romains.

 

 

D’ailleurs, en levant la tête, nous voyons ses serres qui ont capturé le globe terrestre. Derniers détails, le rapace fixe la ville de Trèves alors que son corps, à ailes déployées, est orienté vers Metz, en symbole à la géolocalisation du vicus sur la grande voie romaine de communication, la
Via Agrippa, reliant ces deux chefs-lieux gaulois.

 

Le 10 mai 1940, l’armée allemande a fait sauter à l’explosif le monument. Il fut reconstruit en 1957.

Il nous faut bien un moment de repos et de réflexion dans ce petit jardin de type anglais, enclavé entre la grand route et le chemin rural, pour laisser derrière nous le temps des conquêtes et de la guerre.

En quittant le Monument à l’Aigle, nous traversons la grand route et bifurquons à gauche dans la rue Neie Wee. Nous apparaît au loin, un fanion rouge flotter au vent. Serait-ce le « signum » d’une cohorte ? Notre imagination bat son plein et nous ne serions pas étonnés, une fois de plus, de rencontrer des légionnaires ! En voilà justement un !

 

Reconstitution de l’équipement d’un légionnaire, à voir sur place dans le local d’exposition du site archéologique du théâtre

 

Allons-nous distraire avec lui et entrons au THEÂTRE !

En effet, à son apogée et pour deux siècles, le vicus Ricciacus a profité d’un embellissement à la méditerranéenne qui s’est traduit par la construction d’importants édifices privés et publics : théâtre, temples, thermes, « domi » (belles et grandes maisons en ville) et même « villae » (grandes exploitations agricoles romaines).

A la suite de travaux de terrassement réalisés pour la construction d’une étable en 1985, les substructions d’un théâtre gallo-romain datant du 1er quart du IIe siècle furent découvertes. Sans trop attendre, les fouilles archéologiques menées par l’Etat luxembourgeois furent entreprises (1999-2003, 2007 et 2008). Et nous pouvons depuis lors admirer ce véritable chef-d’œuvre architectonique des ingénieurs et bâtisseurs qui ont fait la renommée du savoir-faire romain.

 

Nous nous installons au 6e gradin en l’état actuel sur un total de trente rangées à l’origine qui pouvaient accueillir 3 500 amateurs de spectacles. Le meilleur divertissement de l’époque, hérité du théâtre grec, mais « à la sauce romaine »: farces (atellane), pantomines, comédies (fabula).
Et les rires fusaient en écoutant les comédies de Plaute ou de Térence ! Molière d’ailleurs s’inspira de ces auteurs notamment pour L’Avare et Les Fourberies de Scapin !

 

En hauteur, depuis notre place, nous avons une belle vue d’ensemble sur le théâtre. Et c’est son harmonie architecturale qui nous apparaît en premier. L’esthétique de sa construction lié à sa fonctionnalité résulte sans doute des contraintes du terrain qui ont limité les dimensions du théâtre parce que la structure de sa cavea (diamètre : 62,4 m) est adossée à une pente rocheuse
que les bâtisseurs ont dû consolider et partiellement remblayer. Ses extrémités sont renforcées par des contreforts en demi-cercle (visibles à droite du théâtre, près des hangars du voisin cultivateur).

 

 

Notre regard plonge ensuite vers l’orchestra (diamètre : 16,6 m) et l’escalier central nous mène au 1er rang. Réservé aux personnalités, le gradin en pierre est réalisé avec dossiers intégrés. Ces sièges d’honneur ont accueilli nombre de hauts fonctionnaires, dignitaires romains en déplacements dans les provinces, en visite ou en séjour au vicus Ricciacus. Et à cet instant, assis à leurs places, dans ce lieu où tant de vies se sont succédé, où l’histoire a défilé, l’émotion fut palpable !

Ricciacum vécut et disparut !

QUEL DESTIN !

En effet, le vicus fut plusieurs fois détruit lors des incursions germaniques, entre autres en 353 et 355, puis disparut définitivement lors des grandes invasions des Germains en 407. Mais son histoire survécut et dans le village actuel de Dalheim, fondé par les Francs entre les VIe et VIIe s., toutes les pierres s’en souviennent encore !

Et à la belle saison, si le cœur vous en dit, nous reprendrons notre sac à dos pour poursuivre notre voyage dans le temps et arpenter « LUCILINBURHUC » … alors, un peu de patience … et soyez prêts !

Chloé Bindels

 

N.B. Dans Dilbeek, nous trouvons également des traces importantes de l’occupation romaine découvertes par hasard en 2014 par un chercheur de trésors. Et les fouilles archéologiques de 2015 ont mis à jour les vestiges de six bâtiments en pierre, d’une luxueuse villa romaine en pierre appelée « villa rustica » datant des 1er et 2e s, ainsi que des restes de fondations de quelques bâtiments en bois. Je vous donne rendez-vous sur notre site pour la suite des informations : https://acd-dilbeek.be/patrimoine-historique-de-dilbeek/des-vestiges-dune-villa-romaine/

 

 

 

Sources :

– Office du Tourisme : 30, Place Guillaume II – Tél. : +352 22 28 09 – carte et circuits – touristinfo@Icto.lu

– Centre des monuments du Grand-Duché de Luxembourg – Tél. : +352 83 66 01

info@monuments.lu  – www.monuments.lu

– Association « Ricciacus-Frënn » ASBL – www.ricciacus.lu

– BELLUM GALLICUM DE CESAR : Classique ROMA, Ed. Hachette, 1968, Livres I à VI (extraits), A. Fontanier

– LUXEMBOURG : Guide Le petit futé, 2022, Ed. Les Nouvelles Editions de l’Université / www.petitfute.com

– Le vicus romain de Dalheim : Editions MNHA, août 2010, Jean Krier, Heike Pösche (thermes)

– Dalheim et Ricciacus : https://fr.wikipedia.org/wiki/Dalheim_(Luxembourg)

– Ricciacus, Riccium oder Ricciacum ? Ein Ort, viele Namen – Dalheims antike Benennung : CNRA, ARCHAEOLOGIA LUXEMBURGENSIS N° 4 – 2017-2018, Nena Sand

Reportage photographique : Chloé Bindels